Vijenac – bimensuel sur l’actualité de l’art et de la culture / 24 avril 2008

 

La chorégraphie de l’imaginaire

I AM 1984, la dernière production de la Cie Operations combinées (en coproduction avec le théâtre ZKM), écrite et réalisée par Giuseppe Chico et Barbara Matijevic, est une pièce avec beaucoup d’humour qui réunît la chorégraphie du texte et le dessein.
En juxtaposant et multipliant les différents niveaux du narratif historique, allant de l’histoire personnelle (attribuée à Barbara Matijevic, l’interprète de la pièce, qui figure dans la narration en tant que B.M.), à l’histoire nationale (en 1984, il s’agit de l’histoire communiste yougoslave), et jusqu’à l’histoire mondiale, avec un accent sur l’histoire des medias de masse, des ordinateurs et de la télécommunication, la pièce est structurée comme une conférence accompagnée des desseins et des diagrammes sur un tableau blanc.
Dans un espace de scène aussi réduit, l’attention du public est entièrement focalisée sur la chorégraphie vocale, transformée par des moments en desseins ressemblants les diagrammes financiers et boursiers.
En 1984, B.M. avait six ans, elle voulait devenir ballerine et vivre dans une télé; 24 ans plus tard on la voit sur la scène du théâtre ZKM: elle se rappelle les Jeux Olympiques, le jour ou elle a prononcé le sermon pour devenir le pionnier de Tito, les premiers jeux de vidéo, le Pac Man… En racontant les évènements enchaînés par les liens causals instables, B.M. installe le cadre autoréférentiel, à l’intérieur duquel les détails de l’histoire personnelle ou globale correspondent avec sa mémoire, dont les structures voyagent entre la fiction et la faction.
En choisissant cette stratégie performative, les auteurs questionnent la véracité et la facticité de la mémoire, démontrant en même temps les mécanismes par lesquels l’idéologie et la rhétorique deviennent constitutives dans la formation non seulement de la mémoire collective, mais aussi de la mémoire personnelle.
Les lacunes qui naissent par l’impossibilité de dissocier d’une manière cohérente ce qui est vrai de ce qui imaginé ou reconstruit à posteriori, créent des champs interprétatifs ouverts, dont chacun peut remplir par sa propre mémoire.
La surproduction de la parole et des faits historiques accentue la redondance comme un des principes de base de la rhétorique capitaliste qui séduit par une circulation infinie des images et des objets.
Le dispositif performatif qui se dédouble en parole et en dessein, résulte par une création théâtrale complexe dans laquelle B.M., suivant la paradigme Brechtien d’un performeur distancié et engagé qui ne s’identifie jamais entièrement avec son rôle, articule une série des questions d’une importance vitale pour la survie de l’individu dans l’époque où son individualité est réprimée par des moyens de plus en plus agressifs, la réduisant au consommateur d’un certain brand, d’une certaine marque.
Même si par des moments B.M. est très comique, elle démontre en même temps l’effet tragique d’un spectacle totalitaire, avec le rire et l’imaginaire comme les seuls armes défensives.
A l’homme d’aujourd’hui, emprisonné dans les nombreux systèmes et structures, et perdu dans la multitude des informations importantes et non importantes, les auteurs offrent deux sorties possibles de l’embrassement panoptique du Big Brother et de ses prothèses de marques: la force recréatrice de l’humour et de l’imagination.

Andrej Mircev