Sébastien Hendrickx –  Etcetera, mars 2012

Etcetera, mars 2012

À la fin de l’année passée, le Kaaitheater a consacré son troisième festival Spoken World au discours. Sous le dénominateur Powers of Speech (les pouvoirs du discours), des artistes des quatre coins du monde ont exploré le sous-ensemble que forment la politique et la linguistique. J’ai sélectionné un certain nombre de spectacles du programme et ai tenté de mettre le doigt sur ce qu’ils disaient à propos du rôle que jouent de nos jours les discours en tant qu’instrument politique. Dans quelle mesure les mots constituent-ils encore des actes qui contribuent à façonner le monde ?

 

L’impuissance du pouvoir
Chez Matijević et Chico, le discours est dénué de pouvoir de persuasion, vu qu’il est question de le déconstruire. Le duo d’artistes de performances dirige précisément ses flèches sur « l’impuissance du discours », sur l’inflation actuelle de la parole publique, y compris celle de l’allocution. Contrairement à Etchells, qui a compilé des extraits de discours célèbres (n.d.l.t), les textes de Speech! sont le pur fruit de l’imagination des auteurs. Matijević nous accueille – ou plutôt le public fantôme fictif auquel elle s’adresse – dans le Chalet parlementaire (« l’oasis préférée des survivants du XXe siècle »), un club où l’on peut apprendre l’art discursif, moyennant paiement. Ce mot de bienvenue fait office de récit à tiroir : il contient dix brefs exercices d’allocution qui, à leur tour, font référence à d’autres discours. La structure gigogne trop complexe du spectacle est parfois étourdissante, mais l’idée de base incite à la réflexion. Comment interpréter cette démocratisation absurde du discours ? Comme une renaissance de la bonne vieille rhétorique scolaire qui devait autrefois former les jeunes à devenir des citoyens critiques et éloquents, mais cette fois sous une forme nouvelle, privatisée ? Ou comme l’évolution du discours en loisir anodin, parfaitement adapté au tsunami actuel de messages et d’opinions twittés ? Que les clients soient qualifiés de « survivants du XXe siècle » paraît plaider en faveur de la première lecture ; mais définir le club comme une « oasis » confirme en même temps la seconde interprétation. De nos jours, le flux d’information nivelle toute prise de parole publique. Que le constat soit pertinent ou non, le fait est que rien, ou presque, ne se distingue du lot.

La question de la valeur actuelle des allocutions politiques implique aussi la question de la valeur du discours politique d’aujourd’hui. Dans quelle mesure ont-ils un impact significatif sur le monde tel qu’il est ? À ce sujet, Speech! ne donne pas grand espoir. Avec la dégénérescence du Parlement en « Chalet parlementaire », un club de loisir pour orateurs en herbe, Matijević et Chico paraissent vouloir souligner la crise de confiance à laquelle les pouvoirs politiques traditionnels, leurs institutions et représentants font face ces temps-ci. Sur la scène internationale, bon nombre de rois sont nus ! Alors que la contestation gagne la rue et s’amplifie, la classe politique ne parvient pas à formuler de réponses visionnaires et fédératrices aux grandes questions écologiques et socio-économiques de notre époque parce qu’elle est pieds et poings liés par la pensée unique néo-libérale. En conséquence, de nombreux politiciens ont perdu le concept de l’ethos et leur crédibilité publique est au plus bas.

 

Extrait de : Sprakeloosheid & onmacht. Over Spoken World 2011: Powers of Speech. (Perplexité et impuissance. À propos de Spoken World 2011 : les pouvoirs du discours) Par Sébastien Hendrickx, publié dans Etcetera, mars 2012.

 

Traduit du néerlandais par : Isabelle Grynberg